1974, les cadets de l’Espérance, alors au temps de leur splendeur et de leur règne sans partage sur le handball tunisien, sont opposés à ceux du Club Sportif d’Hammam-Lif, dans le cadre d’un match de coupe disputé dans le temple du bon vieux temps qu’était le Palais de la Foire. Partis pour se faire infliger une raclée, les titis de Boukornine, qui ne payent pas de mine, font, à la surprise générale, sensation, en s’offrant le «luxe» de battre l’ogre «sang et or». Un lionceau, aux dents déjà longues et aux griffes précocements féroces, est passé par là. Il s’agit du jeunot hammam-lifois, un certain Samir Abbassi. La silhouette élancée, la coupe de cheveux «à la Clay» (comprenez l’ex-légende de la boxe Mohamed Ali), le petit Samir s’est amusé, ce jour-là, à déchirer la défense adverse, à coups de tirs foudroyants sur des montées en suspension capables de transpercer les citadelles les plus hermétiquement cimentées. «Ce jeune tout feu tout flamme fera parler de lui» titrait, le lendemain, un journal de la place.
Ce dernier aura finalement tiré le bon numéro, puisque, depuis, commença une carrière prometteuse qui se muera, au fil de brillantes saisons, en un conte de fées gardé, à ce jour, soigneusement dans les archives de ce sport.
L’amoureux de la cage
Hammam-Lifois de pure souche, c’est évidemment au profit du club de la ville que Samir signe sa première licence. «A l’époque, se rappelle-t-il, on ne pouvait pas aller ailleurs, notre club étant au sommet de sa gloire qui avait fait de lui l’un des meilleurs du pays. Y adhérer était un grand honneur et une fierté pour tous les gamins que nous étions».
Encore cadet, Samir frappe déjà aux portes de l’équipe senior, non pour… ses beaux yeux, mais tout simplement pour ses qualités innées ; un gabarit impressionnant, une véritable force de la nature, une audace anormale et beaucoup d’application tactique.
Atouts qui feront de lui le meilleur buteur de l’équipe, celui par qui tout le danger venait. Du coup, il faisait se retourner les têtes, non seulement aux quatre coins d’Hammam-Lif, de Boukornine à Echaâbia, en passant par La Sirène, mais aussi un peu partout dans le pays, et plus particulièrement à… Bab Souika. Là où le seigneur espérantiste, plus… gourmand que jamais, n’a plus qu’un objectif : «Ce jeune homme qui nous a fait tant souffrir doit absolument devenir des nôtres». Sitôt dit, sitôt fait. «Non, avoue Samir, je ne pouvais refuser l’offre de l’EST. D’abord, parce que celle-ci était alléchante, ensuite parce que je considérais que j’ai tout donné, sans conditions, à mon club d’origine. Enfin, parce que j’étais, et c’est légitime, tellement ambitieux que je rêvais de podium. Et au bout du compte, j’estime que j’ai fait le bon choix». Oui, il n’aura pas à le regretter, car, pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître.
En effet, réussissant, plus facilement que prévu, à s’imposer dans la jungle de l’EST qui pullulait de «bêtes du parquet», de monstres sacrés, tels que Sbabti, Achour, Lassoued, Rebaï, etc. voilà Samir Abbassi confortablement installé sur le toit de la gloire là où ne trônent que les plus méritants, que les joueurs de classe exceptionnelle. Bientôt, le bombardier d’Hammam-Lif ne comptait plus les dégâts occasionnés dans les camps adverses. Ses missiles sophistiqués garnissant sa robuste rampe de lancement partaient sans interruption et en trombe pour aller faire boum dans la cage adverse. Ah, cette cage, qu’est-ce qu’elle avait souffert, la pauvre, sous la loi implacable de son tyran de bourreau ! Au point de tourner avec la superbe moyenne de dix buts par match. Au point aussi d’y planter, tenez-vous bien, 15 sur les 25 réalisations réussies par l’équipe nationale contre son homologue algérienne lors de la mémorable finale du championnat arabe. Un exploit rarissime qui lui a valu une litanie d’hommages d’admiration.
Et c’est justement grâce à cette infernale machine à marquer des buts qu’il avait bu à toutes les sources du triomphe : 4 titres de champion et 3 coupes avec l’EST, et en sélection un championnat d’Afrique, un championnat arabe, une coupe de Palestine, la médaille de bronze des Jeux méditerranéens de Split (1979) qu’il concluera par le très honorable titre de meilleur buteur de ces joutes.
Ce titre de canonnier qui lui allait comme un gant, il ne faisait que l’accumuler depuis l’âge de 20 ans, et cela sur les plans national, africain, arabe et méditerranéen. 1988 comblé de sacres et de célébrité, au terme d’une prodigieuse carrière de 12 ans, ayant tout raflé dans nos murs, Samir finit par succomber au charme des pétrodollars. Destination : Le Qatar où il fera, la contagion aidant, malheur sur les arènes. Bémol: il aurait mieux fait d’embrasser une carrière professionnelle en Europe où il aurait réalisé plus de miracles que ses illustres successeurs Wissam Hmam, Issam Tej, Wahid Ben Amor et autres Sobhi Sioud et Haykel Mgannem, auteurs d’une belle carrière dans le Vieux continent. Qu’à cela ne tienne, car Samir peut toujours s’enorgueillir d’être considéré par les puristes comme le meilleur arrière gauche tunisien de tous les temps. Qui sera son éventuel sosie? «Je vois l’Espérantiste Jabeur Yahiaoui», répond-il sans hésiter, tout en exprimant son inquiétude «quant à la baisse du niveau de notre championnat par la faute d’une formule insensée et bizarre».
Aujourd’hui à 60 ans, l’ex-directeur à Tunisair savoure une belle retraite dans la sérénité familiale, «sans pour autant rompre avec ma passion pour le handball qui coule encore dans mes veines». Heureux qui comme Samir Abbassi.
Mohsen ZRIBI